Aujourd’hui j’ai envie de vous parler de deux rencontres importantes de ma vie professionnelle. La majorité de mes lecteurs s’attendent à ce que je disserte sur les moments partagés avec des Vedettes de la chanson, allant d’EDDY MITCHELL à MICHEL BERGER, de MICHEL JONASZ à ELTON JOHN, de TINA TURNER à VÉRONIQUE SANSON pour n’en citer que quelques-uns …

Je vais les décevoir car d’une part je tomberai dans la facilité, le monde étant fasciné par le Show-Biz et les détails de la vie des célébrités, et d’autre part, je ne me sens pas capable de narrer des faits croustillants que j’ai partagés avec eux mais qui appartiennent à l’intimité de chacun d’entre eux.

La mémoire de « trou de serrure », très peu pour moi .

Je me souviens trop de ma révolte à la lecture d’une indiscrétion très intime et pas du tout connu du grand public, en dehors du microcosme parisien, d’un ex-directeur des programmes et de chaines de télévision après le décès d’un célèbre chanteur dans l’espoir de vendre son livre, qui à priori n’intéressait que sa famille, pour ne pas tomber dans le piège…

Souvenez-vous, j’ai consacré un billet sur ma rencontre avec un jeune et brillant étudiant d’une École de commerce de ST Étienne devenu en quelques décennies LA référence en matière de productions de spectacles, je ne m’étendrai donc pas plus sur ce sujet, même s’il mériterait que je le développe, mais je voudrais vous parler de quelques autres êtres exceptionnels rencontrés lors de ma vie professionnelle…

Oh ! il n’y en eut pas une myriade, mais c’est cette rareté qui en fait la qualité et la valeur.

Durant mes premières tournées, dans les années 70, je faisais en sorte d’être présent sur toutes les dates et je regardais toutes les personnes travailler autour de moi, en coulisses, sur la scène et dans la salle.

J’étais conscient d’être moi-même en période d’apprentissage du métier de producteur, et en tant que « chef d’équipe » je voulais connaitre tous les aspects des métiers des personnes que j’avais engagées.

Après quelques tournées, alors que j’estimais en connaitre suffisamment, même si j’appris par la suite qu’on apprenait quelque chose chaque jour, et c’est cette soif d’élargir mon expérience qui continue à dicter mon quotidien…

Lorsqu’une de mes tournées passait par Strasbourg, je remarquais un garçon grand, fort, discret, taiseux qui poussait les caisses mieux que les autres, et sans donner d’ordres à ses copains, il dirigeait naturellement les opérations.

Un regard noir de sa part suffisait à faire comprendre à son collègue qu’il avait fauté et un léger sourire lui rendait le moral.

Il était strasbourgeois et appartenait à la Sté STACCO qui fournissait aux producteurs nationaux une aide logistique pour le montage et le démontage du matériel dans le grand est de la France.

Après l’avoir vu travailler sur les spectacles de Véronique SANSON, de Michel JONASZ et d’Eddy MITCHELL, je demandais à le voir en tête à tête et lui proposais de me rejoindre pour devenir mon « Directeur Technique » alors que se profilaient à l’horizon des tournées en France d’Elton JOHN et de Tina TURNER . Je revois encore sa tête entre « il est fou ce mec » et « cela vaut il le coup de quitter mon cocon alsacien pour tenter une aventure sans garantie de réussite, de plus avec un mec que je connais à peine ?»

Mais nous n’étions pas dans la période actuelle où les jeunes manquent d’ambition, ont peur de se lancer dans des aventures où il faudra travailler dur pour réussir. A cette époque, la jeunesse osait, n’avait pas peur de répondre à des défis quitte à connaitre l’échec ! Et si on tombait c’était pour mieux se relever …

Il ne lui a pas fallu longtemps pour me rejoindre et toujours aussi discret et taiseux, il devint rapidement LA référence du Directeur Technique qui parlait d’égal à égal avec les Régisseurs renommés des artistes internationaux suscités.

Moi qui débutais en tant que Producteur de Stars mondiales pour leurs tournées françaises, je suis conscient de ce que je dois à Michel. Je sais qu’à Londres, New York ou Los Angeles, lorsqu’au cours d’une réunion de préparation d’une tournée européenne était abordé le volet français, et que mon nom était cité, le régisseur de l’artiste disait « Ah oui c’est celui qui a Michel comme responsable technique !» et il passait à autre chose, conscient que rien de grave ne pouvait leur arriver … Michel était déjà mon assurance tous risques avant de devenir mon ami.

Nous avons fait toutes nos tournées ensemble, allant même jusqu’à Nouméa & Tahiti, sans beaucoup se parler.
Quand il y avait un problème, il le réglait sans même m’en avertir. J’avais une confiance aveugle en son professionnalisme, son honnêteté et son dévouement.

Je n’ai jamais eu l’occasion de lui faire une remarque, encore moins un reproche. Ses décisions ont toujours été les bonnes, même les plus radicales …

Après notre longue aventure commune, il a fait le bonheur de la direction de la plus grande salle de spectacles de LYON, la Halle Tony Garnier. Tous les régisseurs des artistes qui se produisaient à Lyon faisaient la même remarque que les régisseurs des vedettes internationales « à Tony Garnier, il ne peut rien nous arriver, il y a MICHEL » …

Pour vous situer sa renommée, son surnom dans le métier était « LE GÉNÉRAL !»

Sur les grosses tournées, nous avions une cuisine ambulante présente sur toutes les dates. Avant, nous prenions un traiteur local propre à chaque ville, mais les déceptions étaient nombreuses et les repas pas assez diversifiés.

Or, pour qu’une tournée se passe bien il est indispensable d’avoir un Artiste fédérateur, un producteur respecté par son équipe et que TOUS les membres de la dite équipe ( techniciens & musiciens ) puissent BIEN MANGER !

D’où l’importance du catering ( dénomination anglaise signifiant ravitaillement / restauration collective )

Quelques années plus tard, je remarquais les soirs où je dinais au Catering une femme qui s’occupait particulièrement des entrées en général et des sucrées-salées en particulier dont elle s’était faite une spécialité ( il faut savoir que parfois il était servi jusqu’à 100 repas midi et autant le soir ) plus les petits déjeuners des techniciens de l’artiste… C’est dire l’amplitude horaire et la quantité de travail … de quoi horrifier Martine AUBRY et les employés municipaux qui travaillent 28h/ semaine en moyenne …

Donc cette femme quadragénaire, mince et à l’allure sportive, à la chevelure naturellement et prématurément blanche, ce qui lui allait fort bien, faisait admirablement bien son travail et surtout, parmi ce milieu de machos où l’intelligence n’est pas toujours un critère de sélection ( même si c’est préférable …) elle avait un ascendant naturel qui mettait une distance entre elle et ces mâles absents de chez eux 6 jours par semaine pendant des mois…

Elle leur parlait d’égale à égal et leur intimait l’ordre de les voir débarrasser leurs assiettes sales… ce qu’ils faisaient illico presto en baissant les yeux mais en rouspétant à voix basse… On ne rigolait pas systématiquement avec ISABELLE dite ZAZA… il fallait mériter son respect et sa mansuétude !

Elle possédait à mes yeux toutes les qualités requises pour occuper une toute autre place dans la hiérarchie d’une production, sans sous-estimer l’importance d’une aide-catering ! Et c’est ainsi qu’un soir, pendant qu’EDDY interprétait ses tubes dans un Zénith en délire, je lui proposais de devenir ma « Directrice de Production ».

Sur ma prochaine tournée, elle abandonnerait le service de table en pré spectacle pour gérer le quotidien, les comptes, la logistique.

Imaginez une cuisinière/serveuse d’un restaurant – hôtel Costes devenir Gérante du complexe…

Elle a eu droit à une formation accélérée et s’est retrouvée rapidement dans son nouveau costume. Très rapidement, et comme je l’avais subodoré, sa personnalité lui a permis de faire ce grand écart professionnel sans difficulté notable. De temps à autre, il lui fallait remettre un malotru en place lorsqu’une réflexion sur son statut d’avant était abordé…

Elle travaillait admirablement bien, avait remisé son tablier pour revêtir la tenue d’une cadre chargée de vérifier les comptes avec les organisateurs locaux et de gérer le cirque ambulant que représente une tournée ou les musiciens et les techniciens ont pris la place des otaries et des lions …

Je me souviens avec tendresse et tristesse de ces moments d’après spectacle, lorsqu’ EDDY et moi-même soupions rapidement au catering avant de prendre soit la route pour la ville suivante soit l’avion privé pour rentrer sur Paris, et elle avait demandé au cuisinier de nous garder à manger au chaud, mais pour qu’il puisse se reposer sans nous attendre, elle nous servait le sourire aux lèvres, heureuse peut être de retrouver ses réflexes d’avant et de partager notre intimité …

Tout le monde la craignait et tout le monde l’adorait, à commencer par les Artistes alors qu’elle était d’une discrétion remarquable, et qu’ils la voyaient peu.

Mais elle avait un côté « je pense donc je dis » qui la rendait drôle et attachante. Je me souviens d’un jour où j’arrivais avec EDDY et mon épouse au Zénith de Caen et où en m’apercevant elle dit de façon naturelle « Patron, faites attention, vous ressemblez de plus en plus à une paupiette » . Venant d’une autre personne, je ne sais pas comment j’aurais réagi, mais venant de ZAZA, j’en ris et surtout je pris l’avertissement au sérieux et me promis de commencer un régime dès la fin de la tournée… Eddy et mon épouse bien évidemment, pensant quelques semaines m’ont appelé «  la paupiette » …

MICHEL & ZAZA  m’ont offert leurs plus belles années et m’ont permis de donner aux Artistes et à leurs équipes des conditions de travail dans un confort 5 étoiles. J’y pense tous les jours avec fierté et nostalgie et ils me manquent…

Michel KINTZIG vit une retraite paisible à Lyon. Il est toujours autant taiseux…Nous nous voyons peu, échangeons à l’occasion des anniversaires, d’un enterrement d’une amie commune, mais nous pensons l’un à l’autre et sommes conscients d’avoir vécu une belle histoire et de nous être offert mutuellement la possibilité de réussir notre vie professionnelle.

Isabelle « ZAZA » GHERARDI , par une drôle de coïncidence vit également sa retraite à Lyon, sa ville de toujours, nous nous voyons de temps à autre dans les Alpilles et nous continuons à échanger des bêtises. Elle n’a pas changé et elle aussi sait à quel point elle m’a permis de faire des tournées où je ne m’occupais que du bien être de l’Artiste, sachant qu’elle s’occupait de tout le reste …

Je tenais à vous raconter ces petites histoires, au risque de ne pas vous intéresser et de vous donner l’impression de perdre votre temps à me lire en ce vendredi 12 Avril, mais je suis tellement effaré de voir de nos jours les personnes avoir peur de prendre des initiatives, des risques pour rester dans ce qu’ils pensent être un confort… Pour réussir il faut oser ! et pour oser, il faut être fou et courageux !

J’ai écrit ce billet avant d’apprendre le décès subit d’une amie de cette époque qui a un rapport avec les personnes mises à l’honneur dans ma modeste prose de la semaine.

Il serait temps que le mec à la faucille se calme, car ça commence à faire beaucoup !

Je te dédie donc ces lignes  DIANE ! …