FRUSTRÉ JE SUIS !

Finalement, quand on réfléchit, il y a deux moments de sa vie que l’on ne contrôle pas : quand on arrive et quand on repart ( sauf si l’on lève l’option suicide )

Mais alors que je ne ressens que quelques regrets en me remémorant des images du passé, j’éprouve une très grande frustration, celle de ne pas pouvoir vivre mon enterrement, alors que je serai forcément présent et pour la dernière fois au centre ( tout au moins je l’espère…) de toutes les attentions . On a quand même un minimum d’égo !

Moi qui ai passé ma vie à vouloir anticiper, prévoir et régler si possible dans les moindres détails mon quotidien et donc celui des personnes qui m’entourent, au point de priver ma chérie et nos amis de surprises, voilà que l’on me refuse de gérer ma dernière apparition en public…

De quel droit ?

J’ai assisté à très peu de cérémonies de funérailles car je n’aime pas fréquenter les églises et apprécie peu les compliments et louanges de circonstances.

Devenir un mec bien sous prétexte qu’on est mort est pour moi la pire hypocrisie. Un con reste un con, même raide, un méchant ne gagne pas d’humanité en disparaissant et un escroc ne mérite pas d’être absous de ses méfaits, même six pieds sous terre !

La justice cesse toute poursuite en cas de disparition du mis en examen, mais je n’ai pas encore atteint la sagesse pour changer mon opinion sur une personne le jour où elle quitte ce monde.

J’ai tellement entendu des personnes dire qu’elles étaient présentes à la cérémonie pour de mauvaises raisons que j’hésite à en désirer une, de peur qu’il y ait plus de « personnes qui se sentent obligées » que de vrais amis.
De plus, le fait d’avoir migré dans les Alpilles avec le voyage que cela engendre m’encourage à n’inviter que les régionaux de l’étape.

Et puis la chance qui m’accompagne depuis mon premier « Areu » me laisse à penser que le jour de mon inhumation, la CGT et SUD-RAIL n’auront même pas eu la bonne idée d’annoncer une énième reconduction de la grève des Contrôleurs épuisés par leur 28h de travail hebdomadaire où ils passent la majeure partie de leur temps à nous annoncer qu’on est bloqué en rase campagne ( comme si on était suffisamment stupide pour ne pas s’en être rendu compte …) pour des raisons de trafic et qu’ils ne savent pas combien de temps cela va durer…

Partir sans la moindre cérémonie confirmerait ma ligne de vie passée : ne pas me mettre en avant, laisser la lumière aux Artistes, rester dans leur ombre pour les mettre en valeur en toute discrétion.

J’ai vu tellement de producteurs qui cherchaient la lumière, qui engageaient des Attachées de Presse pour qu’une photo de leur couple passe dans la page d’Agathe Godard dans Paris Match, que je me suis juré de ne pas tomber dans le panneau du « je veux qu’on me reconnaisse dans la rue » ou du « Vu à la Télé » ..

J’en étais là de mes élucubrations lorsque je me suis mis à penser à mon Épouse.

N’imaginez pas une seconde que je puisse avoir l’outrecuidance de croire que mon absence définitive va être pour elle une épreuve insurmontable.

Comme disent les philosophes de sanisette, « le temps fera son œuvre » mais bien que ce soit une jolie femme autonome, intelligente, cultivée avec des croyances et des passions qui engendrent des tâches qu’elle ne peut réussir à mener à bien chaque jour, 24h ne suffisant pas, elle risque d’être provisoirement quelque peu déstabilisée, même si elle est entourée d’ami(e)s de plus ou moins longue date qui auront envie de lui montrer combien elle compte pour eux…

Mais malgré tout, je me dis qu’il faut peut-être un « sas » entre la période « vie à 2 » et la solitude, que je lui souhaite provisoire, à un moment imposé et non choisi.

Ce sas peut être à mes yeux, une cérémonie simple, sympa, où la tristesse serait laissée au vestiaire… ce serait le moment de se rappeler que l’on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde, que la vie n’est qu’un passage, que de beaux jours arrivent pour ceux qui restent, et permettre à mon épouse d’avoir la preuve que l’on peut aimer plusieurs personnes dans une même vie…

J’aimerais voir la tête des présents, ceux qui passeront leur temps à regarder et à tapoter sur WhatsApp, à répondre en chuchotant à un appel de leur maitresse ou d’un collaborateur, ceux qui trouveront le temps long, ceux qui se demanderont ce qu’ils sont venus foutre là alors que tant de choses intéressantes les attendent dehors…

Je pourrais ainsi mettre en pratique cette citation d’une phrase attribuée à Talleyrand, le « Bayrou des temps anciens » : « Quand je me regarde, je m’inquiète, quand je me compare, je me rassure »

Une question ma taraude : dois je laisser une liste de noms d’indésirables dont la présence gâcherait ma dernière apparition ? Je suis partagé entre l’envie de l’établir pour être en harmonie avec mes idées ou ne pas la faire pour ne pas mettre ma chérie en porte à faux en l’obligeant à demander de sortir aux « personna non grata » … J’ai encore, je l’espère, quelque temps pour décider…

En revanche j’ai une certitude : je ne souhaite pas de chants liturgiques, mais les chansons que j’aime, pas de discours laudatifs de circonstance prononcés par des personnes qui m’ont peu ou pas connu.

Si des vrais amis souhaitent dirent quelques mots qu’ils le fassent, mais ne me ménagent pas ! qu’ils parlent de mon mauvais caractère, de ma mauvaise foi, de ma facilité à m’emporter devant la bêtise humaine ou la lenteur à penser de certains, de mon incapacité à être économe qui a rendu notre quotidien chaotique.

Les seuls compliments que j’accepterai sans fausse pudeur seraient sur mon honnêteté intellectuelle, mes rares mais belles amitiés que j’ai su entretenir et l’amour pour ma femme chérie.

Mais attention, on frôle les sujets et on ne s’appesantit pas dessus !

Ma seule exigence concerne la météo. Le jour de mon dernier voyage, je veux du soleil et de la chaleur pour que les femmes puissent être joliment mais peu vêtues et les hommes à l’aise dans des chemises en lin un peu larges pour tenter de cacher leur début d’embonpoint lié à leur mode de vie et à leur refus de s’abonner à « Comme j’aime » si cher à ce Rastignac 2.0  Benjamin Castaldi !

Pour les vêtements, de grâce, pas de noir ! c’est d’un banal ! … Offrez moi du blanc, du rose, des tons pastel …

Et puis, une fois que je serai réduit à un tas de cendres, direction un troquet sympa avec du champagne Drappier, du vin des 3 couleurs, des alcools exotiques et un bon repas constitué de plats régionaux , circuit court oblige, partagé avec les vrais et bons amis qui  me manqueront déjà …

Et là encore Musique et bons mots !

À vendredi

8 Comments
  • Fromager Isabelle

    mai 3, 2024 at 8:49 am Répondre

    Tu es comme Charles III tu prépares ton requiem
    Mais avec un humour qui te colle à la peau heureusement car ce n’est pas le billet que je préfère ❤️

  • Gormand

    mai 3, 2024 at 10:03 am Répondre

    Bon …te voilà raisonnable pour regarder le futur en face
    Pour notre organisation merci de choisir un vendredi car nous sommes habitués à avoir rdv avec toi ces jours là …. et puis tu pourrais écrire ✍️ un dernier billet pour que cette journée soit plus festive 🥳
    On compte sur toi pour réussir ta sortie 🙏

  • Eugénie Gros

    mai 3, 2024 at 10:53 am Répondre

    Quel récit touchant et rempli de franchise !!
    Ta plume courageuse nous offre une expérience de vérité et d émotion pure!!
    Tu n as pas à t inquiéter, ta sortie sera aussi belle que l a été ta vie..
    Mais en attendant,continue à nous faire rire,à nous toucher,à partager ..😊

  • Ripert

    mai 3, 2024 at 7:43 pm Répondre

    Bon et bien voilà, ton homélie est toute faite. Range la bien dans un coin, elle ne vas pas être utile avant longtemps. Le climat des Alpilles conserve.

  • Gensdarme

    mai 3, 2024 at 11:52 pm Répondre

    Sans oublier.. don’t give up et l’adaggio d’Albinoni….

  • Zeitoun Valery

    mai 4, 2024 at 9:56 am Répondre

    1) Je veux bien la liste des indésirables

    2) Si on préfère le Bollinger au Drappier est-ce gênant?

    3) Pas tout de suite j’ai besoin de toi pendant les matchs.

    4) la bise.

  • Dupont Moreau

    mai 4, 2024 at 1:49 pm Répondre

    Je serai là pour ta chérie, mais le plus tard possible. On aime la belle personne que tu es, pas besoin d’attendre tes funérailles pour te le dire. Gros bisous.

  • Frédérique Brunel

    mai 5, 2024 at 1:48 pm Répondre

    Lors de cette célébration sous le soleil : même avec les pieds devant, je suis certaine que Nathalie vous donnera encore l’envie de vous rétablir très vite…

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